TROUBLES DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE, ISLAM & MONDE ARABE

Le 21ème siècle a été marqué par une nette augmentation des cas de Troubles du Comportement Alimentaire (TCA) au sein du monde musulman [1]. Nous ne disposons cependant que de très peu de données sur les TCA, même si nous savons qu'ils touchent chaque jour de plus en plus de personnes, depuis le Golfe à l'Afrique du Nord. Les chiffres exacts sont presque impossibles à estimer, les médecins et autres professionnels de la santé n’étant pas tenus de signaler les cas de TCA aux organismes de santé.

Malgré le riche héritage islamique en matière de santé mentale [2], les discussions sur les maladies mentales continuent à être considérées comme taboues dans la plupart des communautés musulmanes. Ainsi, de nombreuses personnes souffrant de TCA évitent de  chercher de l'aide ou un traitement par crainte d'être stigmatisées ou exclues.

Si vous vous reconnaissez parmi ces lignes, sachez que vous n’êtes pas seul(e).

Dans le but de vous aider à relever les défis spécifiques liés aux TCA au sein de la communauté musulmane, nous vous proposons une série de guides et de conseils qui, nous l'espérons, vous apporteront du soutien et des stratégies pour prendre soin de vous.

Nous vous encourageons avant tout de demander activement de l'aide dans votre entourage, l’assistance de médecins, et à faire entendre votre voix et vos besoins malgré vos craintes et idées préconçues.

Car, croyez-moi, encore une fois, vous n'êtes PAS SEUL.

Ramadan et Troubles du Comportement Alimentaire: Que faire?

Comment bien vivre le Ramadan quand on souffre d’un trouble du comportement alimentaire ?

 

Si le mois sacré de Ramadan est important pour sa signification religieuse, l’une de ses principales caractéristiques est le jeûne de toute nourriture et de toute boisson de l’aube au coucher du soleil. Beaucoup d’importance est ainsi accordée aux repas, qu’il s’agisse du fait de s’en abstenir, de les préparer ou de les consommer.

Pour de nombreux musulmans, le Ramadan est parfois la seule période de l’année où leur emploi du temps et celui de leur famille et amis sont alignés en raison de l’heure de la rupture du jeûne, le Ftour, et de l’heure du Shour avant l’aube. C’est aussi une période marquée par de nombreux événements sociaux axés sur la nourriture, où l’on se réunit, reprend contact et mange ensemble avec nos proches.

Cependant, le Ramadan peut être un mois de grande solitude pour tous les musulmans souffrant d’un TCA et susciter un sentiment de culpabilité chez ceux qui ne sont pas en mesure de jeûner. Cette période marquée par le jeûne et la richesse des repas peut même devenir un déclencheur pour tous ceux à risque de développer ce type de troubles.

Ce mois supposé de retrouvailles, paix et sérénité devient alors synonyme de lutte acharnée pour éviter un déferlement de questions et de commentaires, allant du « on dirait que tu n’as pas aimé la nourriture » au « tu n’as pas encore tout goûté », en passant par la fameuse question « pourquoi ne jeûnes-tu pas ? ».

Mais comment se vit ce mois sacré lorsqu’on souffre d’un TCA ? Les incidences peuvent varier en fonction du type de TCA, mais on peut principalement noter les comportements suivants pour l’anorexie, la boulimie, et l’hyperphagie boulimique :

  • Anorexie

    • Le jeûne valide et justifie le comportement de restriction alimentaire.

    • Une augmentation de l’anxiété peut avoir lieu chaque soir lors de la rupture du jeûne où l’on est invité à partager le Ftour entre amis et famille, la pression pour manger pouvant souvent susciter des pics d’angoisse et de panique.

  • Boulimie & hyperphagie boulimique

    • Pour ceux souffrant de boulimie, le jeûne peut être un soulagement des pulsions, mais de courte durée, car quand vient le repas de rupture du jeûne, il peut devenir très difficile de gérer une faim accumulée tout au long de la journée devant une table pleine de riches mets. Cette tension débouche souvent en des crises boulimiques lors des repas, aussitôt suivies d’une profonde frustration et culpabilité qui ont tendance à renforcer les comportements restrictifs et purgatifs au fur et à mesure que les jours passent.

    • Pour ceux souffrant d’hyperphagie boulimique, le Ramadan est souvent une période de lâcher-prise, de laisser-aller autorisé et ce en toute convivialité. Mais l’idée de devoir jeûner pendant 15h peut être une source de grande angoisse et souffrance dû à la difficulté de restreindre sa consommation de nourriture pendant la journée.

Afin de vous aider à naviguer cette période complexe, nous vous invitons à vous poser, de façon la plus honnête que possible, les questions suivantes :

  • Avant de jeûner ce Ramadan, demandez-vous : pour qui est-ce que je jeûne vraiment ? Est-ce pour mon trouble de l’alimentation ou pour ma foi?

  • La perspective du jeûne vous apporte-t-elle un sentiment de gratitude et de paix, ou de profonde angoisse et anxiété?

  • Commencez-vous déjà à angoisser par rapport au poids qu’affichera votre balance après Ramadan? Commencez vous déjà à restreindre votre nourriture dans le crainte de prendre du poids?

Si vous n’êtes pas sûr des intentions derrière votre jeûne, il y a de fortes chances que votre trouble de l’alimentation ait plus d’influence sur votre décision que vous ne le pensez. Si vous vous sentez à risque ou considérez que votre trouble est bien ancré et la prise en charge difficile, mieux vaut en parler avec un médecin spécialiste.

Mais le Ramadan n’est pas destiné à vous apporter du chagrin ou des difficultés. Il se veut un mois de foi et d’enrichissement, rempli de gratitude et de connectivité. Il est bien connu dans les communautés musulmanes que le Coran exclut une variété de personnes du jeûne, y compris celles qui sont malades, en voyage, qui ont leurs règles ou qui sont enceintes.

 

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Comment puis-je observer le Ramadan sans jeûner?

Il existe d’innombrables façons d’observer le Ramadan sans jeûner. Prendre l’habitude de lire ou de réciter le Coran quotidiennement peut vous permettre de continuer votre recherche spirituelle tout en vous apportant paix et sérénité.

Pour ne pas vous sentir isolé(e) pendant ce mois de grande convivialité, vous pouvez aider à la préparation du Ftour communautaire afin de partager avec votre entourage tout en aidant les moins fortunés – gestes toujours accueilli par des bénédictions dans l’Islam.

Comment puis-je prendre soin de moi si je décide jeuner ?

Si vous estimez être récupéré (e) de votre trouble alimentaire et avoir le support nécessaire pour observer le jeûne sans risque, les experts vous invitent cependant à prendre quelques mesures de prévention et d’adapter votre jeûne pour prévenir toute tentation ou rechute. Voici quelques conseils :

  • Se fixer des limites: L'idée ? Ne pas participer à certains dîners qui vous mettent en difficulté. A la place, vous pouvez retrouver vos proches qui se rendent à la mosquée pour la prière du soir ou même vous porter volontaire lors d'un événement caritatif.

  • Assurez-vous que vous avez le soutien nécessaire lors des repas: Faites vous accompagné(e) d’une personne de confiance lors des repas afin de diminuer de possibles angoisses et d’éviter n’importe quel symptôme indésirable (restriction alimentaire, crise boulimique, etc.).

  • Prendre le temps pour le Shour: Ce repas est essentiel pour garantir une libération d'énergie continue tout au long de la journée et prévenir la faim de s’accumuler à la fin de la journée au point de se transformer en crise d’hyperphagie.

  • Tenir un journal de réflexion: C'est un excellent moyen pour identifier et suivre vos ressentis tout au long du mois. Ce journal vous permettra notamment d'analyser vos pensées anxiogènes face à la nourriture et d’identifier n’importe quel signe qui laisserait entrevoir une tentation maladive.

  • Considérer la prière comme l'occasion de faire une pause: Les prières quotidiennes peuvent être l'occasion de faire une pause dans vos tâches quotidiennes et de trouver du temps pour être en pleine conscience et paix avec vous même.

  • Construire un plan de prévention: Il est très important de se rappeler que des symptômes indésirables (crises boulimiques, comportements restrictifs et purgatifs, etc.) peuvent survenir alors même que vous observez le jeune. Il est pour cela fondamental d'élaborer un "plan" de vos récidives potentielles avant le début du ramadan. Celui-ci peut inclure une liste des déclencheurs connus et des stratégies d'adaptation. Une liste de proches de confiance (parent, psychologue...) est essentielle à avoir sous la main en cas de crise.

 

Nous vous invitons par ailleurs à explorer l’article « Ramadan et troubles du comportement alimentaire, entre défi et apaisement » . Cet article partage le vécu de deux personnes, l’une souffrant d’anorexie, l’autre de boulimie, et comment leur expérience a évolué au fur et à mesure des années.

 

Références:

[1] Safiri, S., Noori, M., Nejadghaderi, S.A. et al. Comparison of the burden of anorexia nervosa in the Middle East and North Africa region between 1990 and 2019. J Eat Disord 10, 192. 2022

[2] T.A. Baasher, « Islam and mental health », La Revue de Santé de la Méditerranée orientale, Vol. 7, N° 3, 2001. Publié par l’Organisation Mondiale de la Santé.